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COMMISSION NATIONALE ENSEIGNANTS & EXAMINATEURS

Feuillet N°18. Mars/ Avril 2024.

LE SENS DES MOTS EN AÏKIDO
*
Le mot « bienveillance » dans la relation candidats-jurys d’examens

Voici un mot qui parfois bouscule les concepts reçus et qui, de ce fait, mérite toujours que nous lui apportions des précisions afin de mieux en saisir le sens profond.

Car, si ce terme est mis en exergue lors de la formation des Examinateurs, n’est-ce point parce qu’il est un élément clé et donc incontournable pour « garder le cap » ?

Conscient de cette nécessité, notre ami breton, Fanch Cabioc’h, a rédigé un texte avec l’intention d’éclairer encore davantage les aikidoka placés dans la situation d’Examinateur.

Ce texte, très explicite, répond parfaitement à la direction donnée par la Commission Enseignants & Examinateurs, et intéressera tout particulièrement à la fois les Examinateurs, les candidats, et leurs Enseignants. C’est pourquoi vous trouvez ci-dessous le texte, laissé « tel quel » dès lors qu’il semble bien refléter notre ambition : « Unir nos regards, vers un même regard ».

Jacques Bonemaison Responsable de la Commission Enseignants & Examinateurs

Voici le « texte laissé tel quel » de Fanch Cabioc’h :

* « Bienveillance », élément clé de l’attitude du Jury ?

Le mot « bienveillance », antienne souvent entendue lors des stages de formation « Examinateurs » et dans les consignes données aux jurys avant les examens de grades Dan, ne laisse pas de surprendre par ses définitions ambiguës.

Le Petit Robert (1) la définit comme suit :

« Sentiment par lequel on veut du bien à quelqu’un ».

1«Disposition favorable envers une personne inférieure (en âge, en

mérite) ».

Nous comprenons qu’un jury soit dans des dispositions favorables, positives, vis-à- vis des candidats. Ces derniers doivent pouvoir s’exprimer sans la contrainte particulière qu’imposerait un jury « malveillant », à supposer qu’il y en ait. Le stress de l’examen contribue déjà largement à restreindre les capacités cognitives (effet « tunnel ») du candidat lors du passage.

Tout cela est frappé au coin du bon sens.

Ne s’agit-t-il pas davantage de ne pas avoir d’« a-priori »? Le mot « bienveillance » peut à l’extrême, revêtir une certaine mansuétude jusqu’à impliquer une forme de complaisance, voire un « laisser-faire », interprétation tout à fait improbable pour ce qui nous concerne.

Appliquée à l’Aïkido, cette interprétation conduirait à coup sûr à une dévaluation du sens des Grades et du niveau de pratique.

Le sens second proposé par le dictionnaire (« disposition favorable... ») interpelle en ceci que la condescendance que l’expression « envers une personne inférieure.... » sous- tend, n’a pas lieu d’être dans un jury d’examen.

Dans un article paru dans la revue Shumeïkan (2), Pierre Magadur souligne que les grades ne constituent pas un but en soi, mais sont à considérer comme des marques le long d’un chemin. En ce sens, le jury ne sanctionnerait pas une « performance » de 12 minutes mais devrait marquer le cheminement qu’a suivi le candidat. En quelque sorte, un examen constitue une étape normale qui jalonne un parcours.

Il s’agit donc pour le jury de dédramatiser le passage, sans rajouter au stress une attitude hautaine ou désagréable.

 

Dans son livre « Etiquette et transmission » paru en 1991 (3), Tamura Senseï ne parle pas de « bienveillance ». Il écrit (page 94) :

« Il (le jury) doit donc décider de façon impartiale et juste afin de ne pas prêter flanc à la critique...

L’examinateur doit être apte à juger avec grandeur d’âme, et cette tâche ne revient qu’à l’homme capable de rendre un jugement intègre, ce qui veut dire qu’il doit non seulement être talentueux mais encore homme de grande expérience ».

Ainsi, l’importance du comportement du jury est mise en exergue dans un document émis par la Commission Enseignants et Examinateurs de la FFAB (4).

On l’aura compris, « bienveillance » ne signifie pas copinage avec les candidats, même s’ils sont en général connus des jurys, surtout pour les passages 1er-2ème Dan dont le recrutement est, sauf exception, exclusivement régional. Se montrer ouvert, en excluant toute familiarité, exposer clairement les consignes initiales (placement des armes, saluts, quelques mots simples pour mettre en confiance....). Nous avons tous l’expérience de ces « blancs» après l’énoncé d’une technique pourtant très commune, mais que le candidat ne comprend pas par effet de sidération dû au stress ou autre. Insister au-delà de deux ou trois interrogations de la part du jury aurait assurément un effet déstabilisateur définitif sur le candidat et c’est faire preuve d’intelligence que de passer à une autre technique, voire de trouver le mot juste pour dédramatiser et dénouer le blocage.

Il s’agit simplement de bon sens.

* Etre à sa place, tenir sa place : investir la fonction

Le paragraphe précédent nous amène naturellement à considérer l’attitude du jury.

Être membre d’un jury d’examen, c’est être investi d’une fonction : ce qui impose de tenir un rang, représentatif de ladite fonction. La fonction et l’attitude « protègent » le jury et constituent les conditions d’un jugement juste et équilibré.

Fonction, comportement, attitude sont en conséquence intimement liés.
Nous en arrivons ainsi au Reigi, à l’étiquette.


En Aïkido, comme tous les Arts Martiaux, chacun doit connaître sa place, au Dojo et

hors du Dojo. C’est à ce niveau que se révèle toute la Culture Martiale d’un individu, c’est- à- dire la somme de toutes les expériences qu’il aura pu vivre et intégrer.

L’œil de TAMURA Senseï ne s’y trompait pas et ce, dès la façon de se mouvoir (Aruki Kata) sur le tatami pour se placer.

Choisir sa place sans hésitation et s’y tenir. L‘attitude (Shiseï) fait que personne ne peut contester la place que j’ai choisie, sans arrogance, simplement parce que c’est la mienne.

A partir de ce moment les relations candidat-jury sont clairement et tacitement établies.

Il n’est plus question de qualificatifs spécifiques pour les définir. Tout est en place, simplement.

* Reishiki, jurys et ... bienveillance

Le respect du Reishiki est demandé aux candidats et sans doute y a-t-il beaucoup de travail à faire dans ce domaine. De nombreux articles passionnants et de haute tenue ont été écrits à ce sujet (5), (6), (8), (9).

Le Reishiki traduit un ensemble de comportements qui rendent compte du niveau de force intérieure d’un individu, y compris dans l’échec, et ce quel que soit le moment de la vie.

La fonction et l’intériorisation des émotions s’expriment dans un rituel bien compris.

A notre sens, le Reishiki bien compris de la part du jury traduit à lui seul la relation candidat-jury.

De même, un Kamiza à l’esthétique simple, épurée, une nappe, quelques fleurs sur la table des jurys, et la puissance du rituel s’en trouve renforcée, tout en « humanisant » l’examen en faisant d’une salle de sport un Dojo.

Pour ce qui concerne la restitution, les instructions sont claires : rester positif dans les observations que formule le jury. Cependant, ce qui doit être dit doit être dit afin de ne pas laisser un candidat, qu’il ait réussi ou non, dans l’illusion qu’il a de sa prestation, en positif ou en négatif.

 

Ne pas tomber dans la caricature, ne pas infantiliser, donner des pistes de travail, inciter à travailler telle ou telle fondation.... Un passage ne sera jamais parfait.

Le tact et la sensibilité imposent d’éviter des observations vives, vexantes (même sans le vouloir). Quand la tension de l’examen tombe, il se peut que les réactions nerveuses soient exacerbées par une remarque un tant soit peu jugée déplacée.

L’intelligence du cœur et l’empathie ne peuvent pas s’improviser. C’est peut-être cela que Tamura Senseï appelait « grandeur d’âme ».

Il est dans le rôle du Président de la session d’examen de jouer la fonction de modérateur et de veiller à ce que le passage et les observations restent corrects et justes.

Pour terminer je résumerai ces quelques mots par le fait que, mieux que « bienveillance », il faudrait faire appel à l’intelligence du cœur, à la sensibilité, au respect du Reishiki en s’appuyant sur une Culture Martiale pleine de bon sens, forte, bien comprise et assimilée.

Un examen de grade constitue un véritable rite de passage dans un monde qui n’en a plus. Ou si peu.

L’attitude juste et l’évaluation juste constituent un art difficile à exprimer. Prêtons-y une grande attention.

Nous sommes tous prisonniers de nos vérités et de nos interprétations. Puisse cet article susciter quelques interrogations et réflexions chez le lecteur.

Bibliographie sommaire
1. Le Petit Robert, Edition 1984
2. Magadur, Pierre, Commentaires sur les grades en Aïkido, revue Shumeïkan, 2003. https://aikidobretagneffab.bzh/commentaires-sur-les-grades-en-aikido/
3. Tamura, Nobuyoshi, Aïkido, Etiquette et transmission, Editions du Soleil Levant, Aix en Provence, 143 p.

  1. Commission Enseignants & examinateurs, Formation des formateurs (et) des examinateurs, Sens et niveau des grades Dan, FFAB, 2022.

  2. Ranchoup, Emmanuelle, Quelle(s) consistance(s) pour le Reïshiki ?, Self et Dragon, H.S. Aîkido, N° 9.

  3. Kanaï, Mitsunari, Quelques réflexions sur le Reigi Saho, Fanch Cabioc’h. Mars 2024

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