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Le DO (par JB)

 2020

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Le DO : Fruit d’une évolution historique

Le Jujutsu, qui regroupait les techniques de combat longuement utilisées par les samouraï, a connu ses périodes de gloire, mais trois facteurs ont mis en brèche son image d’efficacité à toute épreuve : l’arrivée des armes à feu qui ont eu raison des techniques de combat traditionnel, la grande période de Paix intérieure (période Edo 1603-1868), et l’ère Meiji où dès 1870 le port du sabre fut interdit par les fameux décrets impériaux « Haitorei ».

 

Dans ce contexte et poussé par la très mauvaise image que véhiculait la pratique du jujutsu avec ses conflits incessants et la délinquance qu’ils généraient, Jigoro Kano fut le premier à transformer son Art en un « Do ». Kano a donné aux techniques de Jujutsu une cohérence nouvelle conçue pour l’éducation de l’homme.

Ainsi le Jujutsu céda la place au Judo, puis les autres Arts ont suivi (le Karate- do, le Ken-do, le Kyu-do, plus tard l’Aïki-do, également le Cha-do, le Sho-do, etc). Ce fut la naissance du Budo qui devint une Voie de l’accomplissement de l’homme, le but étant de sauvegarder l’aspect mental du kobudo en y incluant la notion de Paix.

Le « Do » est apparu ainsi après une longue évolution de l’histoire.

Dont il importe d’en clarifier le sens.

Seulement, qu’il s’agisse du Judo, du Karatedo ou de l ‘Aïkido, le Budo, est souvent synonyme « d’art martial » où la notion de combat primaire redevient prédominante, ce qui rend inexistante l’idée du «Chemin, du Do, du Michi». En s’éloignant progressivement de leur origine, la pratique de ces « arts martiaux » évolue au mieux vers une connotation plus ou moins élégante de la brutalité du combat où l’espace offert par le Budo n’est plus appréhendé.

Pourtant, même dans les temps anciens lorsque les duels entre samouraï faisaient rage, le travail sur le mental tenait une place prépondérante, chacun étant conscient de la nécessité de conserver un esprit calme, serein, afin de pouvoir ressentir les choses qui échappent habituellement à l’homme ordinaire. La survie en dépendait...

Mais aujourd’hui, cet aspect est devenu, sinon totalement inexistant, du moins curieusement secondaire. Il est dès lors permis de se demander pourquoi une telle désaffection : L’aspect mental serait-il trop subtil et insuffisamment « porteur » ? Serait-il trop difficile à saisir pour soi-même, à transmettre, à faire valoir ?

L’éclairage de Tamura Senseï.

Tamura Senseï a indiqué de manière explicite où et comment porter notre attention : « Il fut un temps où l’Aïkido était encore l’aïkijutsu. Ce n’était qu’une pratique tournée vers soi-même. Il suffisait de la maîtriser. Aujourd’hui nous en sommes à l’Aïkido. Le Do indique une direction où tout un chacun peut s’engager. Il importe donc que nous tous qui pratiquons ou enseignons l’Aïkido, nous nous engagions dans cette Voie avec la volonté de guider les autres pour faire vivre cet Idéal... Pour ce faire, il faut savoir clairement vers où l’on entraîne les Aïkidoka ».

La vigilance semble d’autant plus nécessaire que O’Senseï, grâce à une quête personnelle particulièrement aboutie, a procédé à une évolution radicale du sens profond du Budo en donnant à son Art un contenu qu’il paraît difficile d’éluder.

Une évolution radicale avec Me Ueshiba.

«Ceci est mon Budo idéal ! » s’est exclamé Jigoro Kano en découvrant l’Aïkido que présentait O’Senseï (1). Ce que Le Fondateur du Judo n’avait pu atteindre lui-même, il le percevait devant lui et voyait dans l’Art de Me Ueshiba l’aboutissement de sa propre quête. Quel est donc cet « aboutissement spécifique » ?

Son Message.

« Moi, Ueshiba, je veux réparer systématiquement ce monde en le mettant en Bon Ordre via le Bu ». « Deviens Uzunome et réalise la Pacification du Monde ». Me Ueshiba revisite le concept du Budo en remontant jusqu’au Kojiki (2) et en incorporant la notion de joie et d’amour. Ordonnancement du monde et Paix vont ensemble via le Bu. Voilà désormais le contenu du terme Budo tracé par Me Ueshiba. Cette dimension d’Harmonie Universelle et de Paix apparaît ainsi comme l’alpha et l’oméga de notre discipline.

Dans le même temps, il semble utile de rappeler que O’Senseï invitait chacun à prendre conscience de ce qu’il appelait « les trois mondes » (« ken yu shin sangaï aîki no michi »), notion que Tamura Senseï a tenu à expliquer : « Un monde aux formes définies, un monde sans forme définie, le monde des esprits ». Senseï ajoutait : « La raison d’être de l’Aïkido est de faire en sorte que ces trois mondes puissent coexister au mieux ». Et de préciser : « Aïki est la Voie de l’amour et de la joie. La voie de l’Aïki est un monde par delà les conflits, les compétitions et les épreuves de force ».

Nouveau paradigme à décrypter sans doute pour qui s’engage dans cette discipline ! Ce n’est plus « une pratique tournée vers soi-même », ce n’est plus seulement « une cohérence nouvelle conçue pour l’éducation de l’homme ». Il s’agit désormais de forger en soi-même une puissance de création pour un monde en Harmonie, lequel se construit inévitablement avec la Paix.

Notre Responsabilité : Ne jamais s’en départir.

* Ne pas aller à contre-sens de l’histoire
C’est en 1942, en pleine guerre mondiale et dans un Japon occupé, que O’ Senseï

prononça pour la première fois le mot «Aï Ki Do » qu’il écrivait déjà avec des idéogrammes signifiant « Voie de la Paix ». Il s’est fermement positionné en dehors des « tendances du moment ». A contre-courant diraient certains ? L’histoire donne la réponse : c’est durant la période d’après guerre qu’ont émergé les Maîtres d’Aîkido les plus prestigieux, incarnant le mieux dans leur pratique, dans l’art de la transmission, et dans leur comportement, ces valeurs fondamentales nouvellement apportées par le Fondateur. (L’on peut aisément considérer que c’est parce qu’il incarnait lui-même ces valeurs fondamentales que Tamura Senseï a pris en 1982 la décision très difficile que l’on connaît et qui a profondément marqué l’histoire de l’Aïkido français (3)).

* Ni céder à la facilité.
A la lumière de ces exemples qui demeurent des modèles éclairants, il importe de

ne pas se laisser séduire par la promotion des valeurs combatives qui dégénèrent en art de combat, car bien entendu « ce n’est pas en s’éloignant du Chemin que l’on s’y rapproche ». Pourquoi ? :
- Ce niveau de pratique reste enfermé dans le désir de « vaincre » ou la crainte de perdre.

- Cette approche reste limitée aux éléments les plus directement perceptibles (réflexes, puissance, agressivité) et ne laisse aucune place à notre spécificité.
- Il est illusoire de penser pouvoir obtenir une vraie réponse à la violence uniquement par des analyses de mouvements corporels.

- La mutilation du Message demeure le premier signe d’un danger majeur pour la pérennité de notre discipline.

* Rien n’est acquis définitivement.
« Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est le chemin ». Il

est intéressant de noter que cette pensée n’est pas propre au Budo, ni même à la culture japonaise. Cette maxime revient au philosophe danois Soren Kierkegaard qui opposait la facilité au sérieux de l’engagement, en insistant sur la responsabilité de chacun devant le choix à opérer.

Cela étant, le Budoka est amené à tout instant à faire montre d’une attention et d’une vigilance permanentes, car « il ne suffit pas d’être sur le Chemin pour y demeurer ». Tamura Senseï affirmait fréquemment que « Sur le Chemin, un instant perdu, si court soit-il, ne se rattrape jamais ». De plus, en évoquant le sens qu’il convient de donner aux grades Dan, il avait indiqué avec force, et en choisissant précisément le grade le plus élevé, que « Même une eau pure peut pourrir dans une marre ».

COMMENT AVANCER SUR LE CHEMIN.

* Tout a été dit et écrit. Reste à s’en imprégner
Tamura Senseï demeure un exemple vivant de modèle pour tous les Aïkidoka et,

bien que très attaché à la méthode de transmission orale, il se donnait régulièrement la peine d’écrire de manière particulièrement éclairante sur des sujets soigneusement choisis. Il semblait forcer le trait dans l’espoir d’élargir notre perception des choses. La Voie était ouverte, le Chemin indiqué, comme pour le « Petit Poucet » de Charles Perrault dont la route était jonchée de petits cailloux. Il n’imposait rien mais il nous invitait à affiner ( A «mâcher » disait-il), à trouver par nous-mêmes (4).

Les poèmes que Senseï composa les dernières semaines de sa vie montre que, jusqu’au dernier Moment, il n’eut de cesse d’indiquer jusqu’où peut aller le Chemin. (En particulier, la référence à YamaokaTesshû et ce qu’il en tire pour lui-même dans cet instant atteint un niveau extraordinaire(5)).

* L’indispensable « Humilité ».
Quand on regarde le chemin à parcourir, il n’est d’autre choix que celui de devenir

de plus en plus humble. Il est très amusant de constater que, sur le Chemin de Saint Jacques de Compostelle, et dès les premiers jours de leur périple, les pèlerins déposent régulièrement des colis dans les relais postaux aux fins de les expédier ... à leur propre domicile...

C’est cette remise en cause permanente qui permet de poursuivre le Chemin. Se dépouiller de l’inutile, réaliser (enfin !) le « lâcher prise », garder le fameux « Esprit du débutant » sont les conditions indispensables pour ne pas être tenté de « s’arrêter en route ». « Lorsque l’esprit est dépouillé et devenu clair comme un ciel sans nuage (disait un moine Zen lors d’un Seishin), il est comme le reflet de la lune sur l’eau ».

* Le doka de O’Senseï (6).
Il demeure utile de ne pas occulter les points-clés sur lesquels insistait le

Fondateur de l’Aïkido, même et peut-être surtout si ces exigences apparaissent comme des notions par trop abstraites ou éloignées de notre entendement du moment.

          

« Shinkû to

                  Si l’on ne s’unit pas
Kû no musubi no 

                  Au Vide Absolu

Nakariseba

                  On ne percevra
Aîki no michi wa.

                  Jamais pleinement
Shiru yoshi mo nashi ».

                  La Voie de l’Aîki.

UN EXERCICE ? EN GUISE DE CONCLUSION.

Me Koichi Tohei, en insistant sur la notion de bienveillance qui doit naturellement habiter l’esprit du pratiquant, précise qu’en respectant cette démarche les yeux ont une lumière qui émane de la profondeur même du cœur. « Le vrai Budoka a les yeux assez bienveillants pour ôter l’esprit combatif à son adversaire ». Me Tohei ajoute : « Avoir les yeux qui laissent le conflit émerger est un signe d’immaturité auquel le pratiquant doit s’efforcer d’y porter remède».

Il termine par cette allégorie : « Un faucon avisé ne montre pas ses serres ».

(1). cf.« Le livre du Judo » par Georges Oshawa (Fondateur de la macrobiotique. Maison Ignoramus Sekai Seihu Kyokai).
(2). « Kojiki » littéralement «Chronique des Choses Anciennes ». Recueil des mythes fondateurs du Japon. Ecrit en l’an 712, demeure essentiel pour comprendre le lien établit par O’Senseï entre la mythologie shinto et l’émergence de son Art.
(3). 1982, la fin douloureuse d’une histoire au sein de la FFDJA et la création de la Fédération Française d’Aïkido et Budo.
(4). Les écrits de Tamura Senseï sont reproduits en grande partie dans l’ouvrage « Nobuyoshi TAMURA Shihan. Son Message, Son Héritage » disponible à l’Ecole Nationale d’Aïkido.

(5). Poème écrit en mai 2010, à peine deux mois avant sa mort. (Reproduit dans le livre référencé ci-dessus page 129). (6). « Doka » littéralement « Chant de la Voie » que O’Senseï utilisait pour la transmission de son Art. (Ici, le Doka n°28).

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